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Mise en oeuvre et encadrement de la mise à disposition de personnel

Dernière mise à jour : 22 févr.

Par Paul Dorval et Jad Clam.


Que ce soit entre sociétés d’un même groupe ou entre sociétés distinctes, il n’est pas rare que les entreprises mettent temporairement un ou plusieurs de leurs salariés à disposition d’une autre. Les entreprises peuvent y avoir recours notamment pour la réalisation de tâches spécifiques nécessitant des compétences particulières ou pour des difficultés de recrutement ou encore en cas de difficultés économiques.


Toutefois, la mise à disposition de personnel peut être à l’origine de disparités de statut entre les salariés mis à disposition et ceux de l’entreprise utilisatrice. Le législateur, est venu encadrer la mise à disposition du personnel en y attachant un formalisme et des conditions stricts, sous peine de sanctions pénales, civiles et administratives.


I) QU’EST-CE QUE LA MISE À DISPOSITION DE PERSONNEL ?


La mise à disposition de personnel (aussi appelée prêt de main-d’œuvre) est une opération juridique qui consiste pour un employeur à mettre temporairement à disposition d'une autre structure, un ou plusieurs de ses salariés, pour la mise en œuvre d’une compétence ou technique particulière.


II) QUELLES SONT LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA MISE À DISPOSITION DE PERSONNEL ?


Conformément à l’article L. 8241-2 du Code du travail, la mise en œuvre du prêt de main-d'œuvre conclu entre entreprises requiert plusieurs conditions.


A) L’accord du salarié


Lorsqu’une entreprise met un de ses salariés à disposition d’une autre, elle doit impérativement recueillir l’accord explicite du salarié. L’accord du salarié se concrétise par la signature d’un avenant à son contrat de travail.


L’avenant doit préciser plusieurs éléments :

  • le travail confié dans l'entreprise utilisatrice ;

  • les horaires et le lieu d'exécution du travail ;

  • les caractéristiques particulières du poste de travail ;

  • la possibilité de prévoir une période probatoire par accord entre l’entreprise prêteuse et le salarié.

À noter qu’un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir refusé une proposition de mise à disposition.


B) Une convention de mise à disposition


L'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice doivent signer une convention de mise à disposition qui vise un seul salarié et qui doit mentionner :

  • la durée de la mise à disposition ;

  • l’identité et la qualification du salarié mis à disposition ;

  • le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels facturés à l'entreprise utilisatrice par l'entreprise prêteuse.


C) L’information et consultation du CSE


Le comité social et économique (CSE) de l’entreprise prêteuse doit être consulté préalablement à la mise en œuvre du prêt de main-d’œuvre et informé des différentes conventions signées.


De plus, une information supplémentaire du CSE de l’entreprise prêteuse est requise lorsque le poste occupé dans l'entreprise utilisatrice par le salarié mis à disposition figure sur la liste de ceux présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés mentionnée au second alinéa de l’article L. 4154-2 du Code du travail.


Concernant l’entreprise utilisatrice, son CSE doit être informé et consulté préalablement à l'accueil de salariés mis à sa disposition via le prêt de main-d'œuvre.


III) QUEL EST LE STATUT DU SALARIÉ DANS LE CADRE DE LA MISE À DISPOSITION DE PERSONNEL ?


Concernant le statut du salarié prêté, l’article L. 8241-2 du Code du travail précise que :

  • durant la période de prêt de main-d'œuvre, le contrat de travail qui lie le salarié à l'entreprise prêteuse n'est ni rompu ni suspendu. Le salarié continue d'appartenir au personnel de l'entreprise prêteuse ; il conserve le bénéfice de l'ensemble des dispositions conventionnelles dont il aurait bénéficié s'il avait exécuté son travail dans l'entreprise prêteuse ;

  • les salariés prêtés ont accès aux installations et moyens de transport collectifs dont bénéficient les salariés de l'entreprise utilisatrice ;

  • et qu’à l'issue de sa mise à disposition, le salarié retrouve son poste de travail « ou un poste équivalent » dans l'entreprise prêteuse sans que l'évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne soit affectée par la période de prêt.

De plus, selon l’article L. 1251-21 du Code du travail, pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, telles qu'elles sont déterminées par les dispositions légales et conventionnelles applicables au lieu de travail (la durée du travail ; le travail de nuit ; le repos hebdomadaire et les jours fériés ; la santé et la sécurité au travail ; le travail des femmes, des enfants et des jeunes travailleurs).


IV) QUELLES SONT LES INFRACTIONS PÉNALES LIÉES A LA MISE À DISPOSITION DE PERSONNEL ?


Dans le cadre d’une mise à disposition de personnel, les entreprises s’exposent à deux types d’infractions pénales : le prêt de main-d’œuvre illicite et le délit de marchandage.

Le délit de marchandage est souvent assimilé au prêt de main-d’œuvre illicite. Pourtant les deux sont différents, notamment par leur élément constitutif.


A) Définitions légales


  1. Le prêt de main-d’œuvre illicite

    1. Principe


L’article L. 8241-1 du Code du travail dispose que « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'œuvre est interdite ».

Ainsi, sur but lucratif, l’article L. 8241-1 Code du travail précise que l'opération n'est pas lucrative lorsque l'employeur qui met son salarié à disposition d'une entreprise ne lui facture que :

  • les salaires versés au salarié ;

  • les charges sociales afférentes au salaire ;

  • et les frais professionnels remboursés au salarié dans le cadre de sa mise à disposition.

Par conséquent, dans le cadre d’une facturation « à l'euro, l'euro », l'opération de prêt de main-d’œuvre est licite.


Concernant l’objet exclusif du prêt de main-d’œuvre, on considère qu’il a un caractère exclusif, dès lors que le seul et unique objet du contrat conclu entre deux entreprises est le prêt de main-d’œuvre.


b. Exceptions


Comme en dispose le Code du travail, une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'œuvre est interdite, néanmoins d’après l’article L. 8241-1 du Code du travail il existe plusieurs exceptions :

  • le travail temporaire par les agences d'intérim ;

  • le travail à temps partagé ;

  • l’agence de mannequin par le titulaire de la licence d'agence de mannequin ;

  • le prêt de sportifs mis à disposition de la fédération sportive délégataire en tant que membre d'une équipe de France ;

  • la mise à disposition de salariés auprès d'un syndicat.

À noter que l’article L. 8241-3 du Code du travail prévoit un dispositif dérogatoire de prêt de main-d’œuvre par lequel « une entreprise peut mettre à disposition de manière temporaire ses salariés auprès d'une jeune ou d'une petite ou moyenne entreprise, afin de lui permettre d'améliorer la qualification de sa main-d'œuvre, de favoriser les transitions professionnelles ou de constituer un partenariat d'affaires ou d'intérêt commun ».


L’article précise que la condition du but non lucratif est réputée remplie pour les entreprises utilisatrices, « même lorsque le montant facturé par l'entreprise prêteuse à l'entreprise utilisatrice est inférieur aux salaires versés au salarié, aux charges sociales afférentes et aux frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de sa mise à disposition temporaire ou est égal à zéro ».


De plus, le gouvernement a instauré, dans le contexte de la crise sanitaire du Covid-19, un dispositif similaire pour les entreprises prêteuses ayant recours à l'activité partielle visant à autoriser le prêt de main-d’œuvre même lorsque le montant facturé par l’entreprise prêteuse est inférieur aux salaires versés au salarié, aux charges sociales afférentes et aux frais professionnels remboursés au salarié. Ce dispositif était temporaire, et applicable en dernier lieu, jusqu’au 30 septembre 2021.


2. Le délit de marchandage


L’article L. 8231-1 du Code du travail dispose que « toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdite ».


Ainsi, contrairement au prêt de main-d’œuvre illicite, le délit de marchandage ne requiert pas la démonstration du but exclusif de l’opération de prêt de main d’œuvre. De plus, le délit de marchandage n’est retenu qu’en présence d’un fait dommageable.


Pour caractériser le marchandage, il faut donc que l’opération de prêt de main-d’œuvre soit à but lucratif et ait nécessairement causé un préjudice au salarié ou avoir eu pour effet d’éluder l’application des dispositions légales et conventionnelles.


B) Précisions jurisprudentielles


Au fil de ses décisions, la Cour de cassation a pu préciser les éléments constitutifs du prêt de main-d’œuvre illicite et du délit de marchandage permettant de mieux en cerner les contours.


  • Sur le but lucratif du prêt de main-d’œuvre illicite


La Cour de cassation a retenu le caractère lucratif d’un prêt de main-d’œuvre illicite lorsque :

  • l'entreprise bénéficiaire n'a pas à supporter les charges sociales et financières qu'elle aurait eues si elle avait employé ses propres salariés (Cass. crim., 23 mars 1993, n° 92-83.381) ;

  • le dirigeant d'une société, à l'occasion de l'utilisation d'une main-d'œuvre extérieure, élude le paiement des charges sociales (Cass. crim., 19 mars 2013, n° 11-86.552).

    • Sur l’objet exclusif du contrat de mise à disposition


La Cour de cassation retient le caractère lucratif du prêt de main-d’œuvre lorsque :

  • le seul objet de la convention entre deux sociétés était la fourniture de main-d'œuvre et que, le contrat était conclu moyennant une rémunération (Cass. soc., 4 avr. 1990, n° 86-44.229) ;

  • la mise à disposition d’hôtesses d’accueil pour des salons, n’était accompagnée d’aucune prestation de la société prêteuse (Cass. crim., 28 janv. 1997, n° 96-80.727).

    • Sur la nécessité de l’apport d’un savoir-faire distinct de celui de la société utilisatrice


La Cour de cassation a jugé licite le prêt de main-d’œuvre lorsque :

  • il n'est que la conséquence nécessaire de la transmission d'un savoir-faire ou de la mise en œuvre d'une technique qui relève de la spécificité propre de l'entreprise prêteuse (Cass. soc., 9 juin 1993, n° 91-40.222) ;

  • le savoir-faire spécifique apporté par le prêt de main-d’œuvre est distinct de celui des salariés de l’entreprise utilisatrice (Cass. crim., 3 mai 1994, n° 93-83.104).

    • Sur le transfert du lien de subordination

La Cour de cassation a jugé illicite le prêt de main-d’œuvre lorsque :

  • était constaté un transfert du lien de subordination entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice (Cass. crim., 25 avr. 1989, n° 87-81.212) ;

  • le contrat de mise à disposition de salariés prévoyait le transfert du lien de subordination, l'obligation pour l'utilisateur de payer les salaires par l'intermédiaire de l'employeur initial, lequel prélevait un bénéfice et facturait les prestations de travail en fonction du nombre d'heures de travail (Cass. soc., 25 sept. 1990, n° 88-19.856).

  • Sur le but lucratif dans la mise à disposition de personnel entre société du même groupe


La Cour de cassation a jugé illicite le prêt de main-d’œuvre lorsque :

  • la mise à disposition de salariés entre sociétés du même groupe permettait à l'utilisateur d'économiser des frais de gestion du personnel ; le caractère lucratif de l'opération résultait de l'accroissement de flexibilité dans la gestion du personnel et dans l'économie de charges procurés à l'entreprise utilisatrice (Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-69.175) ;

  • la mise à disposition de salariés s’effectue entre sociétés fonctionnant comme une entité unique et ne s’inscrit pas dans le cadre des dispositions régissant le travail temporaire ; le but lucratif de l'opération conclue entre ces sociétés peut consister, au profit de l'utilisateur ou du prêteur de main-d'œuvre, en un bénéfice, un profit ou un gain pécuniaire (Cass. crim., 9 sept. 2020, n° 18-82.746).

  • Sur le délit de marchandage

Concernant le délit de marchandage, la Cour de cassation a rappelé que :

  • à la différence de l'article L. 125-3 du Code du travail (L. 8231-1, L. 8241-1, L. 8241-2 nouv.) l'article L. 125-1 n'exige pas que l'opération prohibée concernant la main-d'œuvre ait un caractère exclusif (Cass. crim., 23 juin 1987, n°85-95.585) ;

  • le délit de marchandage sera constitué dès lors que la sous-traitance causera du tort aux salariés. C'est le cas par exemple lorsqu'elle aura pour effet de les priver des garanties contre le licenciement, de leur retirer de l'ancienneté ou de leur verser un salaire moins élevé que le minimum stipulé par la convention collective de l'entreprise utilisatrice (Cass. crim., 25 avr. 1989, no 88-84.222 ; Cass. crim., 25 avr. 1989, no 87-81.212) ;

  • le délit de marchandage est caractérisé dès l'instant que les salariés mis à disposition n'ont pas perçu les mêmes avantages que les salariés permanents (Cass. crim., 20 oct. 1992, n° 91-86.835) ;

  • le délit de marchandage n'est pas subordonné à un mode particulier de rémunération (Cass. crim., 15 mars 1994, n° 93-81.110) ;

  • le délit de marchandage est caractérisé dès lors que l'engagement des salariés par une filiale suisse, sous état de dépendance et de subordination de la seule société utilisatrice française, leur a fait perdre le bénéfice des avantages sociaux qu'ils auraient eu en cas d'embauche par la société française. La circonstance que les contrats de travail des salariés aient été régulièrement soumis au droit suisse, loin d'exclure l'application de la loi pénale, caractérise le préjudice causé à ces salariés privés des avantages sociaux liés à l'application de la loi française (Cass. crim., 12 mai 1998, n° 96-86.479).


C) Quelles sont les peines encourues en cas de prêt de main-d’œuvre illicite et de marchandage ?


  1. Le prêt de main-d’œuvre illicite

    1. Sur le plan pénal

Selon l’article L. 8243-1 du Code du travail, le fait de procéder à une opération de prêt illicite de main-d’œuvre en méconnaissance des dispositions de l’article L. 8241-1 du Code du travail est puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30.000 €.


Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75.000 € d'amende :

  • lorsque l'infraction est commise à l'égard de plusieurs personnes ;

  • lorsque l'infraction est commise à l'égard d'une personne dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur.

Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 100.000 € d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée.


La juridiction peut ordonner, à titre de peine complémentaire, la peine de confiscation dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 131-21 du Code pénal.

La juridiction peut prononcer, en outre, l'interdiction de sous-traiter de la main-d’œuvre pour une durée de deux à dix ans.

Le fait de méconnaître cette interdiction, directement ou par personne interposée, est puni d'un emprisonnement de douze mois et d'une amende de 12.000 €.


À noter que le montant de l’amende de 30.000 € peut être porté à 150.000 € conformément à l’article 131-38 du Code pénal qui dispose que « le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction ».


La loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 (JO 21 déc.) prévoit également la responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions évoquées aux articles L. 8231-1 et L. 8242-1 du Code du travail.


Les sanctions encourues sont :

  • l'amende dont le taux maximal est cinq fois celui prévu pour les personnes physiques ;

  • la dissolution de l'entité juridique ;

  • l'interdiction d'exercer l'activité concernée, à titre provisoire ou définitif ;

  • le placement sous surveillance judiciaire (durée maximale : cinq ans) ;

  • la fermeture définitive de ou des établissements concernés ;

  • l'exclusion des marchés publics à titre définitif ou provisoire ;

  • la confiscation de la chose qui a servi ou devait servir à commettre l'infraction ;

  • l'affichage de la décision ou publication par voie de presse ou audiovisuelle. b. Sur le plan civil

Le contrat de mise à disposition conclu entre les deux entreprises encourt la nullité d’ordre public pour illicéité de la cause.


Dès lors, l'entreprise coupable de prêt illicite de main-d'œuvre ne peut réclamer le paiement de la prestation prévue au bénéficiaire (Cass. soc., 17 juin 2005, n° 03-13.707).


De plus, le salarié peut demander au juge d'établir l'existence d'un contrat de travail entre le donneur d'ordre (le client) et lui-même.


En effet, en cas de prêt de main-d'œuvre illicite, la jurisprudence peut établir l'existence d'un double contrat de travail liant le salarié conjointement à son employeur et à l'entreprise utilisatrice (Cass. soc., 4 avr. 1990, n° 86-44.229 ; Cass. soc., 16 mai 1990, n° 86-43.561 ; Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-69.175).


c. Sur le plan administratif


Des sanctions administratives peuvent également être appliquées comme la suppression des aides publiques, le remboursement des aides publiques déjà perçues, la fermeture temporaire de l'entreprise (BOMJ n°2016-07 du 29 juillet 2016 - JUSD1620181C).


2) Le délit de marchandage


Les sanctions pénales du délit de marchandage sont prévues à l’article L. 8234-1 du Code du travail et sont les mêmes que celles prévues pour le prêt de main-d’œuvre illicite.




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